Chanson Française
 

 

Les ouvriers des chansons

 

Photographie d’une statue face à la Loire

Une mère près du corps de son fils, accuse le fleuve
Butte Ste Anne, collection personnelle
  Auteur Joëlle Deniot,

Professeur de Sociologie, Université de Nantes, membre nommée du CNU


Des barques s’arrêtaient
Pleines de choses neuves
Et des hommes contaient
Des histoires du fleuve
On parlait des poètes
Aux tables avenantes
Des mémoires muettes
Sur les cales de Nantes.

Quand la musique arrive
Au bruit des batelages
Ils suivent sur la rive
les chemins de halage
Sur le fleuve les hommes
Parlent tous les langages.

Paroles et musique Jean-François Salmon 

In Cd Hélène de Jean –François, Descentes
La Loire se prend pour le Mississipi,
descente 1994


 

Les  ouvriers des chansons,
de la Loire à la mer

Ethnomusicologies

Tout travail sur les chansons commence par une possibilité d’accès à des sources indexées à un minimum d’appareil critique susceptible de transformer ces textes et ces mélodies, en documents interprétables. Pour les chansons ouvrières des mondes industriels français, le problème est particulièrement aigu. D’abord en raison d’une histoire nationale de la collecte des chansons populaires. La première ethnomusicologie, celle de ces artistes-chercheurs partis à la cueillette du moindre air, du moindre conte, du moindre pas de danse à sauver de l’oubli, eut pour seule quête l’univers culturel du village. Elle commença sous impulsion de l’Etat au milieu du dix-neuvième siècle et se termina à la seconde guerre mondiale…Ces peintres du chant de tradition orale avaient fait leur temps, leurs successeurs les appelèrent les folkloristes dénigrant leur passion et leur « romantisme ». A Nantes, dans le fil de l’enquête nationale Fourtoul de 1852, Armand Guéraud, libraire et imprimeur, jeta toute son énergie dans l’entreprise titanesque du collectage manuscrit ; sa vie n’y suffit pas. Son grand herbier des chants populaires du comté nantais et du Bas-poitou recueillis entre 1856 et 1861
[1] restera inédit, mais la ville reste détentrice de ce fond, laissé à lecture publique. L’écho du travail œuvrier, plus qu’ouvrier, sans être inexistant, y est faible. Tout comme il l’est dans l’étude fouillée de l’ethnologue et musicienne Simone Morand sur les chants de Haute- Bretagne[2].

Aux relevés manuscrits des chants traditionnels étaient venus s’adjoindre les enregistrements sonores dont le  Musée des arts et traditions populaires crée en 1937, se fit le grand organisateur. Aux érudits locaux se substituèrent les chercheurs institutionnels. Après le temps de l’amour vint le temps de la méthode. Pourtant, bien que critiques à l’égard du régionalisme des premiers collecteurs mais néanmoins sensibles aux mouvements folk revivaliste d’après 1968, ces ethnomusicologues de la deuxième génération et leurs successeurs vont continuer à se focaliser sur la civilisation paysanne laissant en jachère tout le terrain ouvrier, usinier des chansons, comme s’il était impossible de concevoir là, l’idée de traditions chansonnières, de saisir là, les formes d’une autre civilisation de l’oralité et de la vocalité avec ses interprètes spontanés, ses auteurs-compositeurs anonymes ou plutôt inconnus et organiques.

Sans doute les chansons comme les images sont-elles filles de la nostalgie… et tout autant qu’attirés par la beauté du mort
[3], ces mouvements et leurs acteurs intellectuels d’abord ceux d’une quête des trésors cachés, puis ceux  d’une patrimonialisation des traditions populaires cherchèrent-ils à se défendre, à nous défendre de ce sentiment de perte de l’enfance, sans cesse en œuvre dans les flux, les métamorphoses du social et dont le monde immatériel, transitoire, mouvant des chansons n’est que la métaphore condensée. Que ce soient les pionniers de l’ethnographie musicale ou bien leurs successeurs, ils partageaient finalement un même imaginaire du temps social : durée longue, durée profonde, attachée à des lieux…

Aussi cette seconde vague de l’ethnomusicologie aux classifications remaniées, aux techniques de saisie transformées trouva t-elle à son tour, ses modernistes soucieux d’en finir avec ce tropisme du vestige attaché à leur discipline. Loin de la poétique surannée des collectages d’antan, bien des ethnomusicologues actuels des « musiques populaires
[4] » se tournent vers l’approche des « musiques amplifiées[5] », emblème d’un tiercé gagnant : jeunesse, technicisme et mondialisation[6]. Il n’est pas dans mon intention de débattre ici, ni des raisons ni des enjeux de cette réorientation partielle[7] de l’ethnographie des musiques populaires vers cette forme hybride de  sociomusicologie, il s’agit simplement de souligner en quelques traits comment de fait, passant d’un engouement pour les traces d’hier à un engouement pour le présent immédiat, l’ethnomusicologie en France oublia, continue d’oublier le peuple ouvrier, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas partout, pas en Amérique du Nord par exemple …Au-delà du Québec, le fond des chansons canadiennes -anglaises est en grande partie un fond de chansons liées aux mondes des métiers ouvriers : chansons de cheminots, de mineurs, de bûcherons, de draveurs… Aux Etats-Unis même, les chansons de Joe Hill, celles de l’Industrial Worker Wobblie font partie de ces sources étudiées et mises en valeur par la recherche ethno- littéraire et/ou ethno- musicale.

Reste que la source n’est pas absolument tarie. Reste que, redevenues affaire de musiciens-cherchant, d’amateurs éclairés, les collectes des chansons de tradition orale continuent
[8], dans la discrétion, leur ouvrage d’érudite et de douce patience. Reste que la chanson ouvrière trouva d’autres relais. Dans les bassins industriels les plus actifs, les plus résistants ( ?) se développa une militance culturelle à visée patrimoniale indigène. Tout le travail sur la chanson stéphanoise s’inscrit dans un tel mouvement. Mais qu’en est-il de Nantes ? De Nantes des chantiers navals, de Nantes et de ses communes périphériques liée à l’histoire de la métallurgie lourde des locomotives, de l’armement, de l’industrie nucléaire … de Nantes ouvrière et anarcho-syndicaliste jusque dans les années soixante-dix … A vrai dire, il ne reste que bien peu de témoignages vifs, et dans la ville de la célèbre biscuiterie, devenue Lieu Unique[9] très branché, les chants de travail et d’usine se sont effacés. Pourtant sur ce fond d’absence, nous allons chercher à entrevoir l’ombre de leur résonance. 

Des travaux, des hommes et des chansons 

Chansons à haler les bateaux le long de la rive, chansons à haler les barques à marée basse, chansons de dockers servant à compter les paquets que l’on se passe en chaîne : ces chants de travail qui en appellent au déploiement puissant, rapide d’une force, d’une cadence collectives simples, comptent parmi les chants les plus primitifs[10] ; ce sont des mélopées monotones se modulant sur trois ou quatre notes[11]. Souvent agrémentées de paroles très crues, elles sont plus proches du cri rythmé que du chant.

Si j’évoque au premier rang, ces chansons autour des activités du fleuve et de la pêche, c’est que ce sont bien ces hommes de l’eau
[12], ces mondes de la mer, mais aussi ces mondes de la vie littorale, ces mondes des riverains de la batellerie qui vont marquer la mémoire chansonnière des lieux. Les chansons à thèmes maritimes et côtiers, dans une Bretagne fournissant vers 1900, jusqu’au deux tiers des marins français, n’eurent pas de mal à retenir presque toute l’attention, d’abord celle de la population concernée, puis celle de l’édiles locaux, celle des collecteurs et enfin, celle d’un large public. En effet, tandis que la marine à voile entre en son déclin, de grandes chanteuses réalistes des années vingt portent à la scène, dans l’aura de leur registre interprétatif et émotif, de fascinantes complaintes marines. Damia dans un engagement profond du visage et de la voix, chante les Naufragés (1935), l’âme des matelots, l’Angélus de la mer (1938) ; Yvonne George chante Nous irons à Valparaiso, ancienne chanson de bord devenue par la suite, universellement célèbre. C’est ainsi que nourri par un fond commun français de chants marins[13], enrichi de multiples variations locales, ne délaissant pas non plus la très ancienne tradition des Gwerz bretonnes[14], ce répertoire de l’aventure des longs courriers, ce répertoire des voiliers de cabotage et de pêche, pourtant déjà menacé de disparition, mais aussi déjà sublimé par les vedettes de la chanson, va devenir l’emblème par excellence du pays, du paysage et du travail … un emblème pluriel : celui d’un compagnonnage sans ménagement de virilité abrupte, celui plus quotidien d’une communauté parfois marginale alliant entre halte et partance, gens du port, gens du fleuve, gens des rivières, gens des quais et celui, plus héroïque enfin, d’un peuple au travail risquant sa vie.

De ces chansons à hisser « à grands coups » pour lesquelles le meneur de chant entonne les solos et les haleurs sur précision du geste et du tempo entament en chœur le refrain, reste l’air gaillard de Jean- François de Nantes qui fait désormais partie du patrimoine de chants traditionnels largement connus. Plus tardivement, à la version déjà leste des marins, est venue s’adjoindre une version paillarde.
 

Version des marins 

C'est Jean-François de Nantes
Oué! oué! oué!
Gabier de la Fringante
Oh! mes boués!
Jean-Françoué!

Débarque de campagne

Fier comm' un roi d'Espagne

En vrac dedans sa bourse
Il a vingt mois de course

Une montre une chaîne,
Qui vaut une baleine!

Branl'-bas chez son hôtesse,
Carambole et largesse

La plus belle servante,
L'emmèn' dans sa soupente

De concert avec elle
Navigue sur la mer belle

En vidant la bouteille
Tout son or appareille

Montre, chaîn' se balladent
Jean-François est malade

A l'hôpital de Nantes
Jean-François se lamente

Et les draps de sa couche,
Déchire avec sa bouche

Pauvr' Jean-François de Nantes!
Gabier de la "Fringante"
 

Même si les chansons de marins restent l’archétype français le plus prestigieux de la chanson de travail, saturé et dans ses scansions et son verbe tantôt technique, tantôt obscène, par sa performativité – plus c’était cru, plus on y allait[15] - et même si ce poids démographique des marins et inscrits maritimes a bien marqué l’histoire et l’imaginaire de la ville, de son port et de sa région (sur la butte du très industrieux et très populaire quartier de Chantenay des années cinquante, s’érige la statue vengeresse : une mère lance sa malédiction vers les flots meurtriers[16]), il n’en reste pas moins que l’on a bien du mal à faire converger figure du marinier, figure du matelot et figures ouvrières liées à l’industrialisation pourtant très ancienne de la Basse-Loire dont l’existence des premiers chantiers navals à Indret est attestée, dès 1642 et l’usine des forges de Basse-Indre, dès 1824[17].

Où sont donc à côté, en pointillé, en dehors de cette saga marine, les ouvriers des chansons, ouvriers qui eurent leur histoire usinière spécifique mais qui restèrent, il est vrai, très tardivement liés aux modes de vie ruraux de ces communes  environnantes, Indre, Indret, Couëron, St Herblain, Chantenay …  à longue dominante agricole ?


D’abord, nous préciserons que si chanter a longtemps fait partie du travail de chantier et d’usine, certains chants étant même appréciés par l’encadrement pour leur efficacité  productive
[18] et les autres repérés comme contre-productifs[19], ce n’est pas de travail dont parlaient majoritairement les chansons des ouvriers. Leur finalisation était technique, dynamique, agrégative et non verbale[20]. Il faut distinguer chansons accompagnant le travail et chansons représentant art et honneur d’un métier. Bien souvent les collecteurs confondirent chansons ouvrières et chansons d’ouvriers, ramenant le corpus à sa portion congrue ; le fond nantais d’Armand Guéraud nous laisse dans cette insatisfaction. Aussi avons-nous pris soin de titrer notre propos les ouvriers des chansons en jouant sur cette ambiguïté  entre usages de chansons issus des acteurs eux-mêmes et images chantées du travail, nées des regards portés sur eux.

Métiers éponymes


Laminage de l’acier, enfournement et défournement des lingots, André Rixens, 1887
(écomusée Creusot-Monceau)

Sur un plan général, l’image chantée du travail du fond musical français est d’abord celle du métier à valeur compagnonnique, du métier de corporations ou d’artisanats. L’ouvrage chanté est au mieux celui de la fabrique, plus volontiers celui de l’échoppe ou celui de la balle des divers commerces ambulants. Le monde de la manufacture, du travail parcellisé ne va susciter ni beaucoup de vocations d’auteurs-compositeurs ni de nombreuses improvisations collectives, à la manière dont nous avons témoignage[21], des chansons de bord.

Plusieurs raisons peuvent être avancées. D’abord, ces mondes usiniers dont l’image sera d’ailleurs davantage peinte que chantée
[22], qui ne sont pas des urbains, mais plus tout à fait des ruraux à part entière, n’appartiennent plus au même univers de communication orale, de circulations des nouvelles, au même univers de l’information socialement utile. Or, à considérer la plupart des métiers éponymes de la chanson de tradition rurale, on constate que d’une part, elle s’attache aux « petits mercelots »[23], aux barbiers[24] de « lenteur proverbiale »[25], aux couturiers travaillant de maison à maison, autrement dit à tout colporteur d’anecdotes, de contes, d’histoires plaisantes. D’autre part, ce sont les métiers des mauvais partis qui font l’objet des chansons : tailleurs infidèles, meuniers paresseux, boulangers peu généreux tandis que les lingères, les blanchisseuses, les couturières sont généralement soupçonnées de mœurs légères. Ce qui compte c’est l’alliance, ce dont témoignera également tout un répertoire de chansons réalistes paysannes sur la condition féminine[26] de la mal mariée[27].

Filles qui êtes à marier

Filles qui êtes à marier, (bis)
Ne l'vez pas tant la tête !
Car on vous la fera baisser
Quand vous serez mariées !

Lorsque vous serez mariées,
Un peu de meilleur temps aurez;
Un peu, mais non pas guère :
Votre mari sera jaloux
Et même un peu sévère.

Si vous voulez vous promener,
Il ne vous laissera aller
Qu'auprès de votre mère,

Et même encore il vous dira :
« Va, mais n'y reste guère ! »

Au bout de neuf mois ou d'un an,
Vous aurez fille ou enfant;
Et un enfant, ça pleure,
Toute la nuit le bercerez :
Vous ne dormirez guère !

Vos cotillons seront pisseux
Et vos tabliers tout crasseux;
Vous serez mal coiffées.
Vous maudirez l'heure et le jour
De votre mariage !

De plus, parallèlement à cet anachronisme relatif des thématiques coutumières de la chanson, l’image de l’ouvrier, captée par les discours à la fois partisans et romantiques de l’effervescence parisienne, dès 1847[28], va désormais se chanter sur les modes conjugués d’un réalisme de la dénonciation et de l’incantation révolutionnaire. Les chansons ouvrières, les chansons plébéiennes et autres chansons du peuple[29], libellées comme telles sont nées. La société chantante de la Muse Rouge[30] fut à Paris, de 1901 à 1939, un des lieux les plus représentatifs et les plus actifs de cette chanson subversive, anarchiste, syndicaliste.

Alors que la chanson de tradition orale est riche d’une foison de variations locales, régionales, la chanson dite ouvrière parle plus abstraitement ; elle parle donc plus uniformément d’une « condition prolétarienne », de forçats de la machine, de salaire, de ventres creux ; elle rêve d’insoumission généralisée, de République sociale et tente d’agréger l’énergie du nombre, par ce message universaliste. Si la chanson reste bien messagère essentielle, le message n’a plus trait à l’ici et maintenant des travaux et des lieux.



Illustration in Jean –Baptiste Clément, Chansons du peuple
Editions Le temps des cerises.

La chanson, cri primitif ou mélopée plus complexe, ne serait plus d’abord finalisée sur le tempo de l‘effort et le rythme du geste oeuvrant, mais finalisée – autres cris, autres refrains – sur l’émeute.

Ouvrier prend la machine,

Ouvrier la faim te tord les entrailles
Et te fait le regard creux,
Toi qui, sans repos ni trêve, travailles
Pour le ventre des heureux.
Ta femme s'échine, et tes enfants maigres
Sont des vieillards à douze ans ;
Ton sort est plus dur que celui des nègres
Sous les fouets abrutissants.

Refrain :

Nègre de l'usine,
Forçat de la mine,
Ilote du champ,
Lève-toi, peuple puissant ;
Ouvrier, prends la machine  !(bis)
Prends la terre, paysan !

Paysan, le sol que ton bras laboure
Rend son fruit dans sa saison,
Et c'est l'opulent bourgeois qui savoure
Le plus clair de ta moisson.
Toi, du jour de l'an à la Saint-Sylvestre,
Tu peines pour engraisser
La classe qui tient sous son lourd séquestre
Ton cerveau fait pour penser.

Mineur, qui descends dès l'aube sous terre,
Et dont les jours sont des nuits,
Qui, le fer en main, dans l'air délétère,
Rampes au fond de ton puits,
Les riches trésors que ton pic arrache
Aux flancs des rocs tourmentés
Vont bercer là-haut l'oisif et le lâche
Dans toutes les voluptés.

Qui forge l'outil ? Qui taille la pierre ?
Qui file et tisse le lin ?
Qui pétrit le pain ? Qui brasse la bière ?
Qui presse l'huile et le vin ?
Et qui donc dispose, abuse et trafique
De l'œuvre et du créateur ?
Et qui donc se fait un sort magnifique
Aux dépens du producteur ?

Qu'on donne le sol à qui le cultive,
Le navire au matelot,
Au mécanicien la locomotive,
Au fondeur le cubilot,
Et chacun aura ses franches coudées.
Son droit et sa liberté,
Son lot de savoir, sa part aux idées,
Sa complète humanité !


1873 / Charles Keller, James Guillaume


Pourtant,  en deçà de cette abstraction de la figure de l’ouvrier chanté, il reste d’une part que quelques métiers ouvriers vont bien inspirer les protagonistes eux-mêmes et venir se loger dans la mémoire sonore et d’autre part que les sociétés chantantes ne se concentrant pas toutes à Paris, mais s’essaimant du Nord à Marseille, sans oublier Lyon et Saint Etienne…des variantes de milieux industriels, populaires, urbains vont nécessairement y laisser leur empreinte.


C’est sur le site industriel de St-Etienne que cette chanson ouvrière fut la mieux honorée et fut la mieux maintenue, celle des métiers comme celle des combats historiques de ces collectifs salariés : Chanson de la Bazanna de l’ouvrier forgeur, chanson de l’ouvrière Saint-chamonaise, chanson de la plieuse, des ouvriers cylindreurs, des imprimeurs lithographes sans oublier la mine et la vierge des opprimée, hommage à Louise Michel qui tint une conférence à Saint Etienne en 1890 avant de se faire arrêter. Globalement ces chansons du crû sont beaucoup moins misérabilistes que les chansons dites sociales ou humanitaires et de référence plus nationale ; les ouvrières y sont dépeintes sans cette imaginaire de déchéance qui prévaut dans le réalisme montmartrois.


L’ouvrière saint-chamonaise
par L.-V Fabre, originaire de Terrenoire :

L’ouvrière saint-chamonaise
Peut se dépeindre en quelques mots :
Elle tient de la Lyonnaise
Par sa nature et ses défauts ;
Qu’elle travaille sur la soie,
Lacets, moulinage ou rubans,
Elle a toujours le cœur en joie
Qui luit dans ses yeux sémillants.

Elle est simple quoique coquette,
En jupe grise et corset blanc,
Et sous cette mise proprette
Elle sait maintenir son rang.
C’est in plaisir que sa présence
Au logis et dans la cité ;
C’est même un rayon d’espérance
Tout ensoleillé de gaité.

L’ouvrière de Saint-Chamond
Est bonne fille,
Forte et gentille.
De vaillante elle a le renom,
Le cœur naif, l’esprit fécond,
L’ouvrière de Saint-Chamond.

Robuste de taille et jolie,
Le rire aux dents, le chant au cœur,
Elle vous plaît à la folie
Par sa grâce et par sa fraîcheur,
Outre son gracieux visage
Et son doux regard assassin,
Elle a des rondeurs de corsage
A troubler l’œil d’un capucin.

Elle est l’élite populaire
Qui souffre et lutte dignement,
Dont le courage est exemplaire
Et la conduite également.
Si son langage et ses manières
Sont un peu libres quelquefois,
Elle a les moeurs bien plus sévères
Que maintes filles de bourgeois.

Les ouvriers cylindreurs, d' Elie Girodet, en 1868 :

Pour embellir et la brune et la blonde
Reine, ouvrière ou grisette aux yeux doux,
Le cylindreur, dont le talent abonde,
Les satisfait toutes par ses bons goûts.
Pour la rosière, il passe à l’amidon
Les rubans blancs dont l’éclat pur attire,
Pour tous les cœurs séduits par Cupidon
L’apprêt léger charme jusqu’au délire.

Le frais ruban pour lui, c’est l’Espérance,
Que son nom soit : Gaze, Faille ou satin,
De chacun d’eux, il sait toujours d’avance
Avec succès quel sera son destin.
Pour la danseuse il passe à la vapeur,
La réserve est pour toute vieille fille,
La paraffine est pleine de douceur
Et fait rêver les mères de famille.

La moire antique est pour les belles-mères ;
Moire française, aux vierges de l’amour,
Celle à musique, aux chanteuses légères ;
Celle plaquée, aux amantes d’un jour.
En laminant, l’ouvrier cylindreur,
Fait du métier un galant badinage ;
Car ce n’est pas qu’il manque de chaleur,
Nul mieux que lui ne connaît l’enfilage.

Dans leur local, les cylindreurs bons zigues,
Forment un groupe en se donnant la main,
Pour oublier les peines, les fatigues
Et le chômage au triste lendemain.
Faisant honneur au bon jus de raisin,
Avec amour, ils vident les bouteilles
Puis bannissant plus d’un morne chagrin,
Par des chansons ils charment leurs oreilles.

Mémoire en acte des associations ouvrières, réactivations de celle-ci par les associations culturelles[31] et apothéose gratifiante des mains d’or de Bernard Lavilliers, les ouvriers de la chanson stéphanoise existent.

Les mains d’or de Bernard Lavilliers (2001)[32]

Un grand soleil noir tourne sur la vallée
Cheminée muettes - portails verrouillés
Wagons immobiles - tours abandonnées
Plus de flamme orange dans le ciel mouillé

On dirait- la nuit - de vieux châteaux forts
Bouffés par les ronces - le gel et la mort
Un grand vent glacial fait grincer les dents
Monstre de métal qui va dérivant

J'voudrais travailler encore - travailler encore
Forger l'acier rouge avec mes mains d'or
Travailler encore - travailler encore
Acier rouge et mains d'or

J'ai passé ma vie là - dans ce laminoir
Mes poumons - mon sang et mes colères noires
Horizons barrés là - les soleils très rares
Comme une tranchée rouge saignée rouge saignée sur l'espoir

On dirait- le soir - des navires de guerre
Battus par les vagues - rongés par la mer
Tombés sur le flan - giflés des marées
Vaincus par l'argent - les monstres d'acier

J'voudrais travailler encore - travailler encore
Forger l'acier rouge avec mes mains d'or
Travailler encore - travailler encore
Acier rouge et mains d'or

J'peux plus exister là
J'peux plus habiter là
Je sers plus à rien - moi
Y a plus rien à faire
Quand je fais plus rien - moi
Je coûte moins cher - moi
Que quand je travaillais- moi
D'après les experts
J'me tuais à produire
Pour gagner des clous
C'est moi qui délire
Ou qui devient fou
J'peux plus exister là
J'peux plus habiter là
Je sers plus à rien - moi
Y a plus rien à faire
 



Je voudrais travailler encore - travailler encore
Forger l'acier rouge avec mes mains d'or

Travailler encore - travailler encore
Acier rouge et mains d'or...

Entre les forges et les quais


Entre les forges et les quais…des mémoires voyagent et se défont. Nous évoquions précédemment l’idée de métiers éponymes, dans la tradition rurale des chansons ; et c’était là ou bien petits métiers de commerce, de service à domicile - métiers d’Hermès le messager- ou bien métiers sédentaires, mais estimés à l’aune de leur réputation morale ; cet ensemble symbolisant ainsi tout le tissé anthropologique des échanges et des destins dans ce type de civilisation à forte transmission orale. Or, si la teneur qualitative du travail usinier n’est pas - sauf creuset local ayant ses chantres organiques
[33] - à l’ordre du jour dans la chanson ouvrière politique, il reste que des figures de référence vont être mobilisées, dans la chanson militante comprise, pour représenter les ouvriers, dans leur dimension de travailleurs oeuvrant concrètement et durement dans l’industrie. Ce sont les figures du forgeron, du mineur, du tisserand qui vont faire drapeau.

C’est donc sur le texte archéologique des plus augurales et des plus nodales conquêtes sur l’environnement, sur le texte d’expériences primordiales que s’emblématise l’ouvrier dans les chansons. Le feu prométhéen, les entrailles sondées de la terre, les fils croisant, décroisant les écheveaux du monde, le fil coupé des moires : ces travaux ouvriers sont finalement des allégories fondatrices susceptibles d’établir une nouvelle cosmologie du labeur sérialisé et cela sur fond de palimpsestes compagnonniques vivaces, voire même sur toile enfouie de mythes et rituels métallurgiques immémoriaux.

 


Forgeage au marteau –pilon dans les ateliers d’Indret. Huile sur toile de François Bonhommé, dit le forgeron, vers 1865 (écomusée Creusot-Monceau)

Des héros ou dieux- forgerons de la culture occidentale à la chanson traditionnelle de la Saint- Éloi, en passant par le prestige des ateliers de forge dans les usines, les forgerons incarneront tout à la fois la force physique, la force virile et la fascinante maîtrise des forces cosmiques. L’ombre de vulcain, d’Héphaïstos…pouvant tout à la fois fabriquer les chaînes et pouvant les briser, habitera bien des chansons, notamment, celle d’Eugène Pottier qui, dans le « rêve du forgeron », écrit : Toi, compagnon, prends ces outils qu'on nomme / raison, progrès, science, égalité, / Sois plus qu'un roi, sois ton maître, sois homme: / Ô travailleur, deviens l'Humanité. Voilà des ouvriers branchés sur une grande épopée du savoir-faire, celle d’un d’artisanat divin ou semi- divin.

Venue d’imaginaires lointains de l’âge et de la sacralité des métaux (où l’on trouve même, et cela à des niveaux culturels différents
[34], l’indice de solidarités entre musiciens et forgerons, chaudronniers et guérisseurs ….) l’image de ces métiers industrieux de la forge et du minerai va, en effet, se montrer d’une grande plasticité métaphorique pour signifier la puissance, le travail entravé, la peine, la révolte et leur mystérieuse alchimie. Image archaïque, elle est aussi matricielle. Car elle correspond bien à ce besoin naissant de synthèse entre nouveau régime, nouvelle échelle du savoir-faire et nouveau régime, nouvelle échelle de dénonciation dont la chanson ouvrière doit désormais être l’interprète.

Jean Ferrat avec La Commune en 1999, compose avec cette image du héros-forgeron libérateur

Il y a cent ans commun commune
Comme une espoir mis au chantier
Ils se levèrent pour la Commune

En écoutant chanter Potier

Il y a cent ans commun commune

Comme une étoile au firmament

Ils faisaient vivre la Commune

En écoutant chanter Clément

 

C'étaient des ferronniers

Aux enseignes fragiles

C'étaient des menuisiers

Aux cent coups de rabots

Pour défendre Paris

Ils se firent mobiles

C'étaient des forgerons

Devenus des moblots

 

Il y a cent ans commun commune

Comme artisans et ouvriers
 

Ils se battaient pour la Commune
En écoutant chanter Potier
Il y a cent ans commun commune
Comme ouvriers et artisans
Ils se battaient pour la Commune
En écoutant chanter Clément
 
Devenus des soldats
Aux consciences civiles
C'étaient des fédérés
Qui plantaient un drapeau
Disputant l'avenir
Aux pavés de la ville
C'étaient des forgerons
Devenus des héros
 
Il y a cent ans commun commune
Comme un espoir mis au charnier
Ils voyaient mourir la Commune
Ah ! Laissez-moi chanter Potier
Il y a cent ans commun commune
Comme une étoile au firmament
Ils s'éteignaient pour la Commune
Ecoute bien chanter Clément

Avec Le forgeron de la paix, Lucien Delormel, Gaston Villemer en 1880, compose au contraire un standard du pacifisme qui sera repris au café-concert

Dans un village minuit sonne

Un forgeron frappe le fer
Auprès du brasier qui rayonne
Son marteau s'élève dans l'air
Il retombe et sa main velue
S'accompagne d'une chanson
En forgeant un soc de charrue
Pour une prochaine moisson


Refrain:

C'est pour la paix, dit-il, que je travaille
Loin des canons, je vis en liberté
Je façonne l'acier qui sert à la semaille
Et ne forge du fer que pour l'humanité


Dans un village minuit sonne

Un forgeron frappe le fer
Auprès du brasier qui rayonne
Son marteau s'élève dans l'air
Il retombe et sa main velue
S'accompagne d'une chanson
En forgeant un soc de charrue
Pour une prochaine moisson

Refrain:
C'est pour la paix, dit-il, que je travaille
Loin des canons, je vis en liberté
Je façonne l'acier qui sert à la semaille
Et ne forge du fer que pour l'humanité
 

 

Dans un village minuit sonne
Un forgeron frappe le fer
Auprès du brasier qui rayonne
Son marteau s'élève dans l'air
Il retombe et sa main velue
S'accompagne d'une chanson
En forgeant un soc de charrue
Pour une prochaine moisson

Refrain:
C'est pour la paix, dit-il, que je travaille
Loin des canons, je vis en liberté
Je façonne l'acier qui sert à la semaille
Et ne forge du fer que pour l'humanité

Soudain par la porte qui s'ouvre
Entre une femme au teint bronzé
Sous le long manteau qui la couvre
Elle tient un glaive brisé
Sa poitrine est toute sanglante
Et l'homme en fronçant les sourcils
Lui demande avec épouvante
 « Femme que viens-tu faire ici ? »

Moi répond l’étrangère

Dans les sillons, je mets du sang

Reconnais-moi, je suis la guerre !

Et forge mon sabre à l’instant !

Le forgeron saisit la lame

Mais la broyant sous ses outils

Il lui dit : «  Sois maudite, ô femme !

Toi qui m’as un jour pris mon fils

C'est pour la paix, que mon marteau travaille
Loin des canons, je vis en liberté
A jamais, soient maudits les engins de bataille
Je ne forge du fer que pour l'humanité

 

Mais les forges de Basse-Indre, les ateliers d’Indret (cf. Iconographie précédente du forgeage à marteau-pilon de François Bonhommé), eurent pour partie une main-d’œuvre venue d’Hennebont, de Muzillac[35], du Sud- Finistère … ces ouvriers, héritiers de la lignée des forgerons bretons, en perpétuèrent pour un temps, la tradition. Saint Eloi fut aussi en Bretagne patron des maréchaux- ferrant. La chanson de Saint Eloi composée par les ouvriers des forges de la Hunaudaye[36], se chantait le lendemain de la Saint-Jean, jour de convivialité familiale, où la forge de ces villages sidérurgiques, chômait. Dans ces métiers de la fonderie, ici et dans le Nord aussi, on continua donc à chanter l’acier, la tôle, les lueurs du feu, mais en des images plus légères (Aussitôt la forge s’allume et ses étincelants rayons, font une auréole à l’enclume par d’éblouissants tourbillons)[37] ou plus lestes.

 Version de vive St Eloi de Jules Mousseron de 1897, celle des ouvriers de la hunaudaye est antérieure.

Ouverriers métallurgistes
Gins souvint pus contints qu' tristes
Amusons-nous !
Laissons-là l'acier et pis l' tôle,
Aujourd'hui, ch'est l' jour qu'in rigole,
Rions donc comm' des fous !
Amis, perdons l' plaisi d'un roi !
Crions tertous : « Viv' Saint Eloi ! »
Saint Eloi, quéqu'fos sévère,
Va déquindre au soir d'sus tierre...
Frèr's, in buvra !
Parç' que l' saint va mettr' dins s' carrette
Ch'ti qu'au soir i n' s'ra point pompette,
A l'infer i l' mén'ra.

Amis, perdons l' plaisi d'un roi ;
Crions tertous : « Viv' Saint Eloi ! »

Saint Eloi, ch'est un bon zique.
Il aim' bin l' canchon comique
Frèr's, in cant'ra !
Au pus fin diseux d' chansonnettes,
L' grand saint va payer des canettes
Queu plaisi qu'in ara !
Amis, perdons l' plaisi d'un roi;
Crions tertous : « Viv' Saint-Eloi ! »

L' grand Saint Eloi, qu'aim' les danses,
Va donner des indulgences
Frèr's, in dans'ra !
Ch'ti qui j't'ra mieux ses pieds d'sus s' tiête
Au paradis s' plache allé est prête ;
Sans chopper il ira.
Amis, perdons l' plaisi d'un roi
Crions tertous : « Viv' Saint Eloi ! »

Saint Eloi, qu'aime et jeunesse,
Va veiller d'sus nou maîtresse;
Frèr's, in aim'ra !
L' fille amoureuse, et saint i l' cange
Et li donn' tout's les grâc's d'un ange.
Beaucop d'ang's in verra.
Amis, perdons l' plaisi d'un roi;
Crions tertous : « Viv' Saint Eloi ! »

Dans cette veine, Les Filles des forges de Paimpont, crée en 1844, reprise par les Tri Yann, et devenu air communément fredonné, nous incite à penser que d’une part, les chansons des ouvriers ne sont jamais en congruence avec les chansons ouvrières, donnant, montrant comme en politique et en morale, le ton de leur mission et de leur salut. D’autre part, il semblerait que l’on chanta d’abord, dans le milieu usinier, plus volontiers que les refrains partisans, les airs rattachés à d’anciens rites, à des affiliations de sensibles et fortes résonances, avant d’en venir à des reprises des chansons dites « de variétés » et cela après la seconde guerre mondiale.

Mais il faut toujours penser les chansons dans leurs différentes strates d’usage, de situation et d’émotion. La chanson qui suit l’ouvrier agricole venu aux chantiers, exilé à l’arsenal et qui dit son entre-deux monde, n’est pas la chanson de la deuxième ou troisième génération installée à la ville. La chanson des anniversaires, des pots de mariage, des départs en retraite n’est pas celle des manifestations. Les métallos nantais qui scandaient en jubilant « pends le patron, pends le patron si tu pends pas le patron, t’auras pas sa galette, pends le patron, pends la patron, si tu pends pas le patron, t’auras pas son pognon », lors des défilés, chantaient aussi Du gris, Le temps des cerises, ou Le petit vin blanc, autrement dit tout ce qui avaient fait souche dans la mémoire populaire ; alors ils chantaient aussi :

Ce sont les filles des Forges[38],
Des Forges de Paimpont
Digue ding don daine,
Des Forges de Paimpont
Digue ding don don.

Elles s'en vont à confesse,
Au curé du canton
Digue ding don daine,
Au curé du canton
Digue ding don don.

Qu'avez-vous fait les filles,
Pour demander pardon
Digue ding don daine,
Pour demander pardon
Digue ding don don.

J'avions couru les bals,
Et les jolis garçons
Digue ding don daine,
Et les jolis garçons
Digue ding don don.

Ma fille, pour pénitence,
Nous nous embrasserons
Digue ding don daine,
Nous nous embrasserons
Digue ding don don.

Je n'embrasse point les prêtres,
Mais les jolis garçons
Digue ding don daine,
Qu'ont du poil au menton
Digue ding don don.

Les collecteurs de la tradition orale des chansons affirment que dans le peuple tout se chante : adieux, retrouvailles, amour et mort[39]. Les ouvriers d’industrie vont, eux, se trouver au carrefour d’une grande hétérogénéité des styles chansonniers. La chanson des sociétés chantantes est encore présente mais elle perd ses relais. C’est l’influence des nouveaux moyens de diffusion, radio et disques, qui l’emporte. Mais ces supports durant les trente glorieuses, sont aussi supports de retraduction et de revival des anciens airs. Depuis les années trente, la scène chansonnière, nous le disions précédemment, a su retranscrire en ses gammes, l’épopée des travailleurs de la mer. Avec Coup de Grisou d’Henri Contet, interprété par Edith Piaf, c’est l’épopée de la mine qui s’universalise en des couleurs d’ailleurs plus proches des auteurs-compositeurs du crû (pensons à Jules Mousseron, poète et amoureux tragique de la vie du mineur) que de celles véhiculées par la chanson sociale ouvrière. Dans cet environnement d’images chantées, puis en raison des métamorphoses techniques et productives, c’est la chanson de travail, elle-même, prise au sens strict, qui commence à devenir forme saturée. Les ouvriers écoutent, chantent tout ce que les enregistrements et les ondes leur apportent ; leur répertoire est un répertoire de transition entre chansons ouvrières de longue mémoire, complaintes réadaptées, chansons traditionnelles et chansons à la mode. Or, ce répertoire nécessairement hybride, impur, aléatoire et comme tel émancipateur d’ailleurs, c’est lui que les collecteurs (il leur fallait du classable, de l’unifiable), ne surent pas entendre, pas retenir. On connaît en revanche ce que les ouvriers chantaient dans les usines en 1936, par ce qu’en la circonstance, les chansons des ouvriers furent bien conformes à la chanson dite ouvrière, convenant à l’événement et convenant aussi aux écrivains de l’histoire des mouvements sociaux.

Aussi à part cette aura des forges ne reste-il que bien peu d’images des métallos dans les chansons. Encore moins d’images de buandières aux battoirs frappant le linge sur les bords de l’Erdre, figures populaires archétypales de femmes pourtant admirées et craintes et dont l’histoire de la chanson est pourtant gourmande de Pierre Dupont jusqu’à Charles Trenet en passant par Théodore Botrel. Mais les figures des ouvrières, cigarières de la Manufacture comprises, sont totalement absentes de la chanson  populaire locale. 

Silence de l’image et silence sur le chant des blanchisseuses et autres métiers de la buanderie

Il y a bien sûr l’imagerie portuaire, celle des bateaux en partance, celle des navires en construction, celle des quais où l’on travaille, où l’on se promène, où l’on attend qui fut aussi source de chansons réverbérant quelques échos succincts des ouvriers nantais.   

On chante les charpentiers, figure ouvrière noble de ces mondes du port. On chante les calfats, plutôt décriés comme des marins restés à terre[40].

Quand un bateau rentre en carè-è-ne,

Comme çui-là qu'vous voyez là-bas,

On voit pas l'mal et toute la pei-ei-ne,

Que s'donnent ceux qui sont sur les ras

Dans l'étoupe, en plein goudronna-a-ge,

Vous voyez bien ce tas d'margats

C'est ma bordée, mon équipa-a-ge,

Tous des calfats, Tous des calfats !

On trou-ve partout des mini-i-stres
Des sénateurs des députés
Des charpentiers, des ébeni-i-stes
Et même des douaniers retraités
On trou-ve des femmes de ména-a-ge
Des nourrices et puis des soldats
Mais c'qu'on trouve plus, ça c'est domma-a-ge !
C'est des calfats
C'est des calfats !

Je l'ju-re sur la pigouillè-è-re
Que j'avions tant d'turbin dans l'temps
Que j'ai vu ma bordée entiè-è-re
Tous les jours en cracher du sang.
Mais à présent sur ma paro-o-le
Adieu maillets et pataras
Avec tout's leurs sacrées cass'ro-o-les
Y'a plus d'calfats,
Y'a plus d’ calfats.

Depuis que la tôl' fait l'borda-a-ge
Y'a plus moyen de faire ses frais
On a supprimé l'calfata-a-ge
Ah! c'est du propre que le progrès !
Quoi, d'nos fistons, de leurs carriè-è-res ?
Des ingénieurs, des avocats !
Autant brûler la pigouillè-è-re
Faut plus d'calfats,
Faut plus d'calfats!

Escale ou bien amertume, les ports sont ambivalents. Le rêve d’horizon s’arrête pour les margats, pour les matelots, les pêcheurs en retraite, comme pour Le Vieux Marin[41] de la chanson de Léo Ferré, au bistrot du port. La mer, c’est fini, la mer[42]. Les quais sont des lieux d’étrange attirance où échouent la nostalgiques d’un embarquement impossible, où viennent s’élancer et s’éteindre tout projet de voyage. Les quais s’ils sont toujours beaux[43], chantent souvent la mésaventure de ceux qui restent…

 

Brassons bien partout carré

 


 

Nantes, le quai de la fosse

A Nantes, à Nantes vient d’arriver
Un beau trois mâts chargé de blé
au bras tribord d’arrière
Brassons bien partout carré
Nous sommes plein vent arrière

Au quai d’la Fosse est amarré
le beau trois mâts chargé de blé

Joli marin, gentil gabier
combien vendez-vous la perrée ?

Pour vous la belle, c’est à gagner
par trois nuits de partie carrée !

Joli marin, gentil gabier
j’connais pas la partie carrée !

La belle je vous l’apprendrai
dans un joli grand lit carré
!

Joli marin, j’voudrais y aller
dans un joli trois-mâts carré !
La belle sur les trois-mâts carrés
on n’embarque pas de poulies coupées
De San Francisco à Valparaiso
j’enverrai mon trois-mâts carré
Dans une tempête il a sombré
le joli trois-mâts carré
En talisman de fidélité
au Quai d’la Fosse est exposé

 Partir, revenir, rester : c’est de cette fascination portuaire, tout aussi fondatrice que la geste métallurgiste dont nous parle gaillardement cette chanson du quai de la fosse. Le poète Mac Orlan qui jeta son âme dans la chanson des ports, ne fit qu’amplifier dans la mémoire collective des refrains, le trouble d’un tel cadre où l’on se confronte à la clôture de son destin.

Simone, ça n’a pas d’importance ( Mac Orlan)

Quand jean Marie de Nantes revint d'la Trinité,
Il déposa son sac aux pieds de son hôtesse
Dans un bar pavoisé par toutes les promesses,
Le bistrot de Simone à l'autre bout du quai
Qui donc a entendu cette vieille histoir' là,
Qui donc l'a raconté tout bas de porte en porte?
Chez Daisy, chez Simone, ou chez Incarnita ?
Qui l'a confié au vent, au vent de la rue morte?

Simone aime les matelots,
Les matelots aiment qui les aime
Et moi je peux penser de même
Car c'est là mon moindre défaut
Mais si la mer plaît aux bretons,
C'est qu'elle les tient en son giron;
Et tant pis pour qui mal y pense,
Ça n'a pas tellement d'importance.

Un homme qui revenait de Gibraltar, port franc,
Avait dit à Simone : "On ira en Afrique"
A Zanzibar au lieu de boulotter des briques,
Je te couvrirai d'or ou, qui vaut mieux d'argent.
Tu reviendras à Nantes quant il en sera temps
Dans le jour enchanté de notre indépendance
Quant à ton homme Simon', c'est un affaire de sang,
Et çà n'a vraiment pas une telle importante

Simone aime les matelots,
Les matelots aiment qui les aiment
Et moi je peux penser de même
Car c'est là mon moindre défaut.
Mais si la mer plaît aux Bretons
C'est qu'elle les tient en son giron ;
Et tant pis pour qui mal y pense,
Ça n'a pas tellement d'importance

Simone ne sut jamais le vrai mot de la fin,
Les cars de la police sonnaient partout l'alarme.
Les filles jacassaient au milieu du vacarme;
Et pendant quelques jours ce ne fut qu'un refrain
A peine chuchoté dans tous les clandestins
Un refrain qui n'était qu'un souvenir de bagarre,
Entre le gars de Nantes et l'homme du destin
Au moment historique où les couteaux s'égarent

Simone aime les matelots.
Les matelots aiment qui les aime.
Incarnita pensait de même,
Moi je vais m'tirer au plus tôt.
J'irai me crécher à Meudon,
Devant la Seine et ses chansons
Pour prendre un bon coup d'innocence,
Et rien n'aura plus d'importance.

Des forges aux quais inspirant le très populaire Mac Orlan, on a toutefois glissé de l’écriture ordinaire d’un travail amarré au pays, aux ateliers, à la saga ouvrière, vers l’écriture idéale d’un dépaysement associant le monde portuaire à ses exils, ses nomadismes, ses marges, vers l’écriture métaphorique associant les ports de Nantes, mais aussi du Havre, mais aussi de Marseille à l’impressionnante et déchirante beauté d’un décor. Et ce ne sont plus maintenant que des Parfums de ville au charme encore mélancolique qui s’écrivent le long des quais.

Parfums de ville Paroles et musique : Jean – François Salmon

Je t’écris
Du plus tendre parfums
Qu’il m’est en souvenir
De ces cris
Le long des quais sans fin
Où nous aimions venir
Je t’écris

De ce pourpre aux confins
Du fleuve et de la ville
Des odeurs où défilent
Des souvenirs sans fin
Je t’écris ce matin

Du plus tendre parfum
Ici le vent parcourt
Au gré de ses humeurs
La trace des rivières
Aux lits abandonnés
Il porte en son discours
Des parfums, des odeurs
Qui caressent les pierres
Des palais inclinés
Je t’écris….

Nous étions des enfants
Ignorant d’où venaient
Les noirs chemins de fer
Et les derniers bateaux
Mais nous savions le vent
Et chacun devinait
Le café, l’eau, la mer
Le sucre ou les gâteaux

J’ai revu ce matin
Une bande d’enfants
Et j’entendais nos rires
Sans pouvoir deviner
A l’ombre des jardins
Quel serait dans le vent
Leur propre souvenir

De ville parfumée
Nos villes sont éprises
D’une folle jouvence
En oubliant les traces
Des chemins d’écoliers
La mienne n’est plus grise
Mais où est mon enfance
Dans ce vent qui efface
Nos parfums oubliés

Je t’écris
Du plus tendre parfum
Qu’il m’est en souvenir
De ces cris
Le long des quais sans fin
Où nous aimions venir
Je t’écris

De ce pourpre aux confins
Du fleuve et de la ville
Des odeurs où défilent
Des souvenirs sans fin
Il tombe ce matin
Des gouttes de chagrin.


Au fil de l’eau

Nantes n’est plus aujourd’hui, ville ouvrière, loin s’en faut ; elle a désormais hissé d’autres pavois. Et si les métallos ont longtemps marqué l’histoire nantaise, leurs chants de fer ne s’imposèrent pas face aux chants de mer. S’il subsiste encore une pâle mémoire des chansons populaires en pays nantais, c’est du côté de la musique des équipages, des métiers de côte, de berges de rivière et de Loire qu’il faut tendre l’oreille. Il y a les vivants, il y a les morts, il y a les marins rapporte cet adage, sans doute apocryphe, mais attribué à Platon. A la frontière toujours, entre huis clos et infini, entre deux mondes toujours, s’entrechoquant[44]. Pêcheurs, matelots, mariniers sont-ils ouvriers ou paysans de la mer ? Leurs chants ne furent ceux de la chanson ouvrière industrielle urbaine, canalisée vers l’avenir et le progrès. Il y a la chanson ouvrière, il y a la chanson paysanne, il y a la chanson des marins…


Excursus


Le chant métallurgiste est certainement aussi primitif que le chant marin, mais ce dernier fut vite enveloppé de filets imaginaires denses, tissés par la poésie, le roman, la peinture. La mer, avec ou sans marins, attira le texte et la mémoire. Les chansons de l’expérience coopératrice du travail se muèrent en chansons de contemplation d’un autre monde dont l’expérience esthétique, toujours sur fond ou rappel d’accordéon, alla s’universalisant des récits et mélopées circonstanciées des naufrages, aux complaintes réalistes tragiques puis aux différentes fictions portuaires d’un Mac Orlan et de bien d’autres, jusqu’à la méditation  marine et métaphysique d’un Léo Ferré…  Tous ces niveaux se croisant, se côtoyant en une résonance de symboles qui laissa inentamée la portée anthropologique des chansons à thèmes marins.  Car, ce n’est pas tant le fait qu’une navigation de plaisance soit venue ravivée l’aventure qui rehausse leurs échos, mais le fait que ces chants de « la plus longue route du monde »
[45], qui disent l’errance, le sort indécidable, le risque, le secret, la fuite, le ciel, la séparation, les désirs pirates de « no man’s land » parlent encore de nous ; mais le fait que ces chant-là soient encore les miroirs contemporains de nos paradoxes vitaux.

La chanson ne relève pas de la pensée linéaire, elle engrange des ambivalences, absorbe du désordre, de la sauvagerie serai-je tentée de dire, comme les mythes, comme les contes. Elle est à la lisière de l’indomptable, comme on le constate en ces cas extrêmes : chanson du travail exténuant, débordante d’obscénités, mais aussi chanson expressive requérant l’investissement total, corps et cœur, âme et voix de la personne. Le récent film de Olivier Dahan, consacré à La môme, eut le grand mérite de mettre le spectateur devant cette vérité là. Les chansons chantées par les ouvriers,  les marins étaient souvent de cette trempe, rieuses ou paillardes ou saignantes de cris ; les chansons des bûcherons canadiens, ces hommes des bois
, connaisseurs d'arbres et de lianes, lieu par lieu et temps par temps[46], qui inspirèrent Félix Leclerc, étaient habitées par cet imaginaire inextricable des forêts. Cette indiscipline des pulsions, des sentiments sera tue dans la chanson ouvrière militante. Un tel silence sur l’érotique et le chaotique de la vie, n’est peut-être pas sans rapport avec l’échec populaire relatif d’un tel répertoire qui voulut ramener la chanson dans le droit fil d’une rhétorique univoque de l’énergie et de la violence.

Pour fermer cet excursus, mettant en miroir, ce thème du vieux marin, dans la version de Léo Ferré et dans la version de Daniderff (1931), interprétée par Fréhel.

Le Vieux Marin de Léo Ferré

La mer est allée chercher fortune
Là-bas sous les jupons de la lune
Et moi qui ne suit qu'un pauvre oiseau
Mouette ou goéland gigolo
Je crie qu'elle revienne bientôt
Mouiller tous ces calmes matelots
Figés dans leur statut de bateau
Tout gris de la marée de tantôt

J'ai mon tabac
Je suis de la sécurité
Je paye pas d'impôts
L'hiver je mets mon chandail
Je biche
Je fous rien


La vie c'est comme la mer retirée
Au loin comme le dit le calendrier
Vraiment y'aurait de quoi bien se marrer
Petit si elle revenait jamais
Partout parmi les algues et le sable
Il y a un tout petit coin de table
Et toi qui n'est pourtant pas méchant
Tu trouves des coquillages enfants

 

Je mange pas de poisson

Vu c’est lourd pour mézigue

Quand j’embarquais

J'avais mon litre de rhum
Je buvais

Ton coeur c'est comme une vague indomptée
Qui plie sous le chagrin d'une fée
Qui fait une scène au vent du nord
Qui sort avec une voile loin du port
Et là dans un café d'horizon
Tu bois quelques coups à ta façon
Et verse une ou deux larmes d'écumes
Et plumes une voile de plus dans la brume

Quand je partirais
Je mettrais mon duffle-coat
Mazette

Et ce bon dieu de merde
Qui me laisse pourrir à terre
Salaud

J'ai bourlingué de par le monde
Hardi les gars, Ohé les gars,
Sur toutes les mers de la mappemonde
J'ai frôlé mille fois le trépas
J'ai commandé des brigantines
Hardi les gars, Ohé les gars,
Elles filaient des nœuds, les matines
Sous le vent il fallait voir ça
Hardi les gars, Ohé les gars,


J'ai hissé les focs aux frégates

Hardi les gars, Ohé les gars,
En Chine on chassait les pirates
Qu'en dites vous les Terre-Neuva'ds
Hardi les gars, Ohé les gars,
J'ai vu les flots du Pacifique
Hardi les gars, Ohé les gars,
Jusque dans les mers antarctiques
J'ai vu s'lever la lune, oui da !
Hardi les gars, Ohé les gars,


J'ai subi des grains et tempêtes

Hardi les gars, Ohé les gars,
Coups d'vent à vous casser la tête
Suivi bientôt d'un calme plat
Hardi les gars, Ohé les gars,

J'ai connu des femmes blondes et rousses
Hardi les gars, Ohé les gars,
Dans tous les ports j'eus à mes trousses
Les prix d'beauté de ce temps là
Hardi les gars, Ohé les gars,

Maint'nant j'suis vieux et j'fume ma pipe
Hardi les gars, Ohé les gars,
Sur les quais je ballade ma tripe
En r'gardant partir les autres gars
Hardi les gars, Ohé les gars,

Oh vous les jeunes que la mer tente
Hardi les gars, Ohé les gars,
Plutôt mourir dans la tourmente
Que de crever sur un gravât 
Hardi les gars, Ohé les gars...

Reprenant le fil de l’eau…nous n’allons toutefois pas essayer de suivre toutes les chansons de ces divers métiers de rivières, de lac, de mer, de transport fluvial. Les chansons des baleiniers, des long-courriers, des pêcheurs à ligne et à engins, les chansons des passeurs, des haleurs, des remorqueurs…sont légion et cela même si l’on s’en tient au seul « comté nantais ». Pour notre propos, nous ne retiendrons qu’une seule chanson traditionnelle de marins, qu’une seule chanson de marinier, qu’une seule chanson évoquant indirectement le rapport entre métiers de mer et métiers de côte.

Une seule chanson de marins emblématique de bien d’autres puisqu’elle est construite autour d’un chiffre et d’un jeu de nombre. Les trois frères marins, les trois matelots de Groix, les trois matelots de Brest … partis sur des trois mâts. On embarque, on disparaît, on fraternise sous les auspices de  cette triade ou trinité et cela aussi bien en Arcadie, qu’en Chine. Si la chanson est buissonnière, la musique est aussi mesure, intervalle, alternance et bien des chansons populaires dites énumératives
[47], mais de fait entraînement de l’esprit et du souffle, sont des procédés mnésiques de comptage, des comptines en somme… Et la chanson de marins est très sensible à cette forme esthétique et magique du nombre. Le chiffre fait partie du merveilleux marin. La chanson des trois matelots du port de Brest est frappante dans ce registre. L’équilibre entre arithmétique et symbole y semble parfaitement trouvé puisque le chiffre trois s’y déclinent quatre fois, en trois matelots, trois mois, trois charpentiers, trois belles bergères qui font douze et ma maîtresse du temps passé, l’unique qui vient s’ajouter pour marquer cette forme chansonnière du fini, du danger, de la chance, de l’impair d’une treizième strophe.

Les trois matelots du port de Brest

Trois matelots du port de Brest |
De sur la mer, djemalon lonla lura,
De sur la mer se sont embarqués.

Ont bien été trois mois sur mer |
Sans jamais terre, djemalon lonla lura,
Sans jamais terre y aborder.

Au bout de cinq à six semaines |
Le pain le vin, djemalon lonla lura,
Le pain le vin vint à manquer.

Fallut tirer la courte paille

Pour savoir qui, djemalon lonla lura,
Pour savoir qui serait mangé.

La courte paille tomba sur le chef |
Ce s’ra donc moi, djemalon lonla lura,
Ce s’ra donc moi qui s’rai mangé.

Oh non sinon, mon capitaine

La mort pour vous, djemalon lonla lura,
La mort pour vous j’endurerai.

La mort pour moi si tu l’endures|
Cent écus d’or, djemalon lonla lura,
Cent écus d’or je t’y donn’rai.

Ou bien ma fille en mariage |
Ou c’beau bateau, djemalon lonla lura,
Ou c’beau bateau qui est sous nos pieds.

Il n’était pas à demi-hune |
Se mit à rire, djemalon lonla lura,
Se mit à rire et à chanter.

Courage mes enfants courage |
Je vois la terre, djemalon lonla lura,
Je vois la terre de tous côtés.

Je vois les tours de Babylone |
Trois charpentiers, djemalon lonla lura,
Trois charpentiers y travailler.

Je vois les moutons sur la lande :|
Trois belles bergères, djemalon lonla lura,
Trois belles bergères à les garder

Je crois que j’en reconnais une :|
C’est ma maîtresse, djemalon lonla lura,
C’est ma maîtresse du temps passé.
 

Une seule chanson de marinier, celle du Marinier de Couëron, commune longeant la Loire, commune entre fleuve, ville et campagne. Les mariniers colportaient des chansons en même temps que leurs marchandises. Ils furent vecteurs d’échanges culturels entre les différentes traditions orales
[48]de toute la France, entre les chansons des mers et celle des terres, entre celle des hautes terres et celle des milieux riverains. Celle-ci, d’humeur orgiaque ressemble aux chansons de bordée : chansons viriles, chansons à boire, à festoyer.

Le marinier de Couëron

Y' avait un' fois un marinier 
Qu'avait bien envie d' s'amuser 
S'en fut à la Courti-ille! 
Ousque le vin péti-i-i-ille!

Il nous faut du vin-in! 

Et du vin nouveau-eau! 
Du vin nouveau!

L'hôtesse lui ayant demandé 

Quoi c'est qu'il voudrait bien bouffer 
"D' la merde ou bien d' la viande 
Pourvu que ça soy' tendre"

Refrain

L'hôtess' lui ayant demandé 
Où c'est qu'il voudrait bien coucher 
"Là-haut, dans la soupente 
Avec votre servante".

Refrain

Sur les onze heur's, sur les minuit 

La bell' voulut sortir du lit 
Il la prit par la cuisse, 
Lui dit: "Faut que j' t'emplisse".

Refrain

Le lendemain, au matin jour, 

La belle pleurait ses amours:
"Qu'a pleur', qu'a rie, qu'a chante 
Elle en a plein son ventre".

Refrain

Celui-là qu'a fait la chanson 

C'est un marinier de Couëron 
Couëron, tout près de Nantes, 
Ville très commerçante

Une seule chanson de l’atmosphère côtière, parlant de barbière, femme amoureuse et fidèle et de Trentemoult, ancien village de pêcheurs et de marins situé sur la rive gauche de la Loire, au sud de Nantes.

La belle barbière


A Trent'moult, la grande ville,

Où c'qu'y a des maisons blanches,
On dit qu'il y a une barbière
Qui est plus belle que le jour,  Bis

Puisqu'on dit qu'elle est si belle,
Nous irons la voir un jour.
Nous partirons sur les minuit-eu
Pour arriver au point du jour.

Quand je fus devant sa porte,
Trois petits coups, je frappais.
La bell' barbière, à sa fenêtre,
Me dit : Jeune homme que voulez vous ?


- Je veux qu'on me fasse la barbe.
La barbe noire, la faite-vous ?
- Entrez, entrez, joli jeune homme,
Dans un instant, je suis à vous.

Elle appela la servante,
- Marguerite, êt's-vous là ?
Apportez-moi mon bassin d'or-re
Et ma serviett' remplie d'amour.

Pendant qu'ell' m'faisait la barbe,
Trois petits coups, je pâlis...
- Qu'avez-vous donc, joli jeune homme,
A changer si souvent d'couleur ?

C'est y l'rasoir qui vous blesse ?
Pourquoi me le dites-vous pas ?
- Non, non, non, non, jolie barbière,
Ce sont vos yeux remplis d'amour.

Mes amours, mes amourettes,
Ne sont pas ici pour vous.
Ell's sont sur un navire en mer,
Qui reviendra dans quelques jours.

Indépendamment de sa tonalité primesautière mais finalement morale, cette chanson nous indique une spécificité des modes de vie dans ces sites - Trentemoult fut longtemps insulaire- tournés vers l’eau, outil de travail et vivier de toutes les ressources. C’est la singularité d’une unité de ménage que retient ici la mélodie. Cette vision en détail du fonctionnement social que laisse filtrer la chanson, est d’ailleurs notée par l’ethnomusicologue : Sur les côtes où la plupart des hommes étaient à la mer, il n’était pas rare de voir des barbières, précise Simone Morand dans son travail sur la tradition chansonnière de Haute-Bretagne. 

Brest, Groix, Nantes, la Loire, Couëron, Trentemoult etc…cette chanson entre ciel et mer, cette chanson que l’on pourrait dire suspendu dans le vide, dans le vertige de nulle part, aime à dessiner les contours du chemin, aime à nommer les formes et bornes du territoire. Nous faisons route vers ainsi s’expriment les gens de mer, rappelle Jean Claude Lamatabois[49], officier de marine.  Ce goût des noms de lieux, cette manière de peindre les tournures locales des moeurs et du fatum des hommes, il était inscrit dans les chansons rurales, ouvrières, marines. Cette concrétude qui faisait à la fois l’un des réalismes et l’une des poétiques de ces répertoires, ne fait plus recette. On délocalise, on déterritorialise, on abstrait…


Il y a fête mise à plat, il y a les réenchanteurs
[50]

Sur les différentes scènes artistiques nantaises, on met en spectacles et en textes, récits ouvriers et « sortie d’usine »… Aux fêtes de l’Erdre, au sortir de l’été, où s’expose aussi, via musique et musiciens, la politique culturelle de la ville, parfois sur les péniches, résonnent chants de marins et de mariniers qui retiennent aisément l’attention des promeneurs … Au rythme de la flânerie, dans le confort des foules tranquilles et sans le risque même, d’une réelle nostalgie, entre accordéon et casquette nantaise, cette évocation d’une vague communauté primitive salue la beauté du mort.

Mais à côté…

Il reste à la chanson marine, délestée de la symbolique du travail et des lieux, un patrimoine d’enchantement que surent développer bien des auteurs-compositeurs, nantais également, comme Hélène et Jean-François  notamment, qui sont depuis 1992, à l’initiative de concerts itinérants autour du thème des descentes de la Loire. Ils chantent d’étape en étape, sur les bateaux traditionnels accostés au rivage, à spectacle ouvert et continuent sans se lasser, à mettre en musique et en mots leur onirisme amoureux des lointains. Mac Orlan fit du port, un décor. Ecoutons, dans leur dernier enregistrement, hélène et jean-François Salmon mettre sur les reflets de l’eau l’infini silence de l’écriture.

Un homme écrit pour moi

Paroles et musique : Jean – François Salmon

U
n homme écrit pour moi sur un grand océan
Voguant vers des pays que nous avons aimés
Et du pont du navire, comme des oiseaux blancs
S’envolent autour de lui des pages imprimées.
De cette encre mouillée d’eau de mer et de sang
Un homme écrit pour moi sur un grand océan.
Ces mots que je prendrai un à un dans mes doigts
Comme un tendre bouquet de secrets parfumés
Ces mots ce sont les miens, ils me viennent de moi
En me parlant d’amour je saurai les aimer.
De cette encre mouillée d’eau de mer et de sang
Un homme écrit pour moi sur un grand océan.
Il écrit de mes mains, parle de ceux que j’aime
Se souviens de nos gestes et d’étreintes galbées
Retrouve avec ces mots d’intimités lointaines
Le parfum enivrant de secrets dérobés.
De cette encre mouillée d’eau de mer et de sang
Un homme écrit pour moi sur un grand océan.
Tout là-bas sur la mer où dansent les oiseaux
Cet homme qui est loin et si proche à l’instant
Me parle des pays, des sources et des ruisseaux
Où naissent les douleurs et la fuite du temps.
De cette encre mouillée d’eau de mer et de sang
Un homme écrit pour moi sur un grand océan.
Il sait comment ces mots trembleront sur mes lèvres
Comme un premier baiser, comme un premier amant
Et parfois dans la nuit lorsque le vent s’élève
Il me dit qu’il entend ma voix sur l’océan.
De cette encre mouillée d’eau de mer et de sang
Un homme écrit pour moi sur un grand océan.

 

Cet homme écrit pour moi et me parle de vous
Et j’ai tant à vous dire et tant à vous chanter
Il nous dit que la mer est tout autour de nous
Que les mots nous emmènent au bout des libertés.
De cette encre mouillée d’eau de mer et de sang
Un homme écrit pour nous sur un grand océan.

NOTES
__________________________________________________________________
 

[1] Titre de l’édition critique de Joseph Le Floc’h, FAMDT éditions
[2]Simone Morand, Anthologie de la chanson de Haute-Bretagne, G.P. Maisonneuve et Larose, 1976
[3] Michel de Certeau, La culture au pluriel, réédition poche, 2007
[4] De plus en plus couramment usité et sans distance, au sens de popular music
[5] Terme, rappelons-le, d’abord homologué par l’administration d’Etat
[6] Prenons en exemple symptomatique, l’un des titres de communication à un récent colloque consacré à l’ethnomusicologie « Du recueil des chansons traditionnelles au MP3 ; Nouveaux supports, nouvelles pratiques, nouvelles enquêtes »
[7] Il ne s’agit là que d’une tendance forte constatée auprès des ethnomusicologues ou musicologues francophones réunis au sein de l’IASPM (association internationale de chercheurs regroupés par leurs travaux sur les musiques populaires)
[8] En 2005, AREXCPO en Vendée a fondé l'association « Ethnodoc ».
[9]Le lieu Unique, scène nantaise dirigée par Jean Blaise, fait partie de ces hauts lieux industriels, emblématiques de la ville, transformés dans le mouvement de désindustrialisation, en centres culturels et artistiques.
[10]Au même titre que les rondes de Bretagne représentent, pour les moments de détente, les pas et airs de danse de la plus longue et immémoriale durée.
[11]Ces chants à haler sont inconnus en Angleterre et aux Etats-Unis. On en a gardé la trace à Dieppe, à Fécamp et à Paimboeuf pour ce qui concerne le plus proche de Nantes : « Encore un coup lahoura »
[12] Expression employée in Le chant des marins, album Chasse Marée, 1989
[13]Chants dont la plupart remontent au 17° et au 18° siècle
[14]En cela les complaintes des chansons de spectacle se rattachent bien à une véritable tradition populaire maritime. Les chants à thèmes maritimes n’étant nullement constitués du seul répertoire des chansons de bord, aux rythmes spécifiques, aux paroles souvent obscènes que l’on classa a posteriori dans la rubrique des chants de travail. Les complaintes racontant faits divers et tristes histoires de l’actualité sont au moins aussi nombreuses et nous en disent beaucoup sur les conditions de vie des matelots et sur leurs mentalités
[15]Témoignage rapporté in Le chant des marins, op.cit.
[16] Cf photo personnelle (2003) mise en début d’article et reprise sous un angle plus frontal dans la suite du texte.
[17]in Marie-Dominique Pot, Naître et renaître , mille ans d’histoire, st Herblain, Editions, Arts-Cultures-Loisirs 1986
[18]Exemple donné pour les conserveries de sardines des années 30-40 où les ouvrières sont plutôt encouragées par la contremaîtresse dans leurs pratiques chansonnières à l’atelier
[19]Phanette de Bonnault-Cornu cite le cas des maçons entonnant des chansons de Tino Rossi pour ralentir le travail et montrer ouvertement leur désaccord envers le patron in Chanter en travaillant, communication au colloque de Nantes, La chanson réaliste, novembre 1997
[20]Ainsi en est-il des chansons de marins, d’ailleurs et même et surtout de ceux dits chants de
travail.
[21] Souvenir du commandant Aubin, cap-hornier nantais, contant ce goût de l’improvisation in Le chant des marins, op. cit.
[22] Cf le tableau précédent d’ André Rixens, exposé au musée du Creusot, faisant partie d’une mouvance réaliste de la peinture du XIX° siècle.
[23] Cf Simone Morand, op.cit
[24] Erigés en corporation en 1647. On leur permit d’écrire sur leurs échoppes : Céans on fait le poil proprement et on tient bains et étuves, cf. Simone Morand, op. cit.
[25]Notation de Paul Sébillot
[26]Titre du CD EPM 1996 de la collection « Anthologie de la chanson française» où l’on peut entendre 24 chansons de cette veine.
[27] Déjà mal-mariée, déjà : chanson traditionnelle de Haute Bretagne
[28]Ancien canut, Pierre Dupont devient l’animateur socialiste des écrivains et artistes romantique, il écrit Le chant des ouvriers, salué par Baudelaire, en 1847.
[29]Titres attestés de répertoires circulant dans les sociétés chantantes engagées dans cette diffusion politique
[30]Robert Brécy, Autour de la muse rouge, Editions Christian Pirot, 1991
[31] Fond traditionnel qui fut repris pour une quinzaine de la chanson en 1980, couronnée par un disque de 15 chansons intitulé Chansons dans la ville comportant entre autres, une chanson ancienne Au Panassa, hommage à un quartier populaire stéphanois, chanté par une femme du lieu, d’une voix forte, âpre et spontanée qui émeut.
[32]Comme dans le cas de Rémy Doutre auteur de bien des chansons stéphanoises ; comme Jules Mousseron chansonnier des mineurs
[33]In CD intitulé Arrêt sur image
[34]Cette alliance forgerons- musiciens  se repère dans le vocabulaire sémitique, dans les textes sanscrits, dans les croyances et pratiques des tatars et des mongols ainsi que chez les tziganes. La figure du forgeron est une des topiques du flamenco gitano-andalou.
[35] Marie – Dominique Pot, op. cit.
[36] Simone Morand op.cit.
[39] Le forgeron, chanson de Jean Feuillade liée au monde ouvrier stéphanois
[38] Cette chanson traditionnelle suit le rythme du Pilé Menu, si la chanson date du XIX° siècle, la danse est beaucoup plus ancienne
[39] Simone Morand, op.cit.
[40] Cf le hall de la chanson : L'embarcation était tirée en cale sèche sur les "ras" (ancien nom pour désigner les rails). Puis le travail consistait à introduire du chanvre torsadé entre deux planches de bordée ou de pont. Du goudron était ensuite fondu dans une "pigouillère" (chaudron) et servait à recouvrir le joint. Lorsque le bois se dilatait, la torsade écrasée rendait les membrures du navire étanches.[41] Léo Ferré, in CD Métamec 2000, La mémoire et la mer
[42] Léo Ferré
[43]Régis Antoine, Gérard Jaeger, Les quais sont toujours beaux, éditions l’Albaron, 1990
[44] Maurice Duval, Ni morts, ni vivants : marins ! PUF, Paris, 1998
[45]Jean Claude Lamatabois, Ces ports qui s’approchent, ces ports qui s’éloignent, in Les quais sont toujours beaux, op.cit. L’auteur nazairien fut lui-même officier de marine.
[46] Michel Serres, Les cinq sens, Grasset, 1985
[47] Les douze amoureux, par exemple, chanson traditionnelle d’Anjou
[48] Le chant des marins, op.cit.
[49] In article déjà cité
[50] Michel Maffesoli, Le réenchantement du monde, une éthique pour notre temps, la Table ronde, 2007

 

Joëlle DENIOT
Professeur de Sociologie à l'Université de Nantes,
membre nommée du CNU.
Droits de reproduction et de diffusion réservés ©
 

 






 

 
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